Maladie parodontale et diabète : le lien est bidirectionnel

H. IDOURAINE*, F. BENMALEK**, M. MEDDAD*

*Service de parodontologie, CHU Mustapha Pacha – Alger

**Service de parodontologie, Hôpital Régional Militaire – Oran

Le diabète sucré (un groupe de troubles métaboliques caractérisés par une hyperglycémie) et la parodontite (un trouble inflammatoire d’origine microbienne qui affecte les structures de soutien des dents) sont des affections chroniques courantes.

L’association entre les deux maladies est bidirectionnelle, car il a été rapporté que la parodontite affecte négativement le contrôle glycémique chez les patients atteints de diabète sucré et contribue au développement de complications diabétiques.

L’effet des infections parodontales sur le diabète sucré s’explique potentiellement par l’augmentation résultante des niveaux de médiateurs pro-inflammatoires systémiques, qui exacerbe la résistance à l’insuline.

Une sensibilisation accrue des patients au lien entre le diabète sucré et la parodontite et la collaboration entre les professionnels médicaux et dentaires pour la prise en charge des personnes touchées sont essentielles.

Introduction

Les maladies parodontales sont des pathologies multifactorielles infectieuses à composante inflammatoire qui affectent  les tissus de soutien des dents qui constituent le parodonte. Elles résultent de l’interrelation entre le biofilm bactérien, la réponse immunitaire de l’hôte et son environnement. Les gingivites et les parodontites sont les principales entités.

Le diabète est une maladie, due à un désordre métabolique, caractérisée par une glycémie élevée de manière permanente. La Fédération Internationale du Diabète (FID) le définit comme « une maladie grave, à long terme (ou « chronique »), qui survient lorsque le taux de glycémie d’une personne est élevé parce que son organisme ne peut pas produire assez d’insuline, qu’il n’en produit pas ou qu’il ne peut pas utiliser efficacement l’insuline qu’il produit » (FID, 2020).

Le diabète est une maladie chronique caractérisée par un taux anormalement élevé de glucose dans le sang. Cette hyperglycémie est due à une déficience de la sécrétion d’une hormone, l’insuline. Cette hormone stimule le stockage de glucose dans des cellules du foie, ce qui permet de diminuer la concentration de glucose dans le sang. Pour les patients diabétiques, soit les cellules pancréatiques responsables de la sécrétion d’insuline sont dysfonctionnelles (diabète de type I), soit il existe une résistance des cellules sensibles à l’insuline dans le foie, le muscle ou une combinaison des deux (diabète de type II).

Le diabète constitue un facteur de risque qui augmente la fréquence et la sévérité des parodontites. À l’inverse, la santé bucco-dentaire a un effet sur la santé générale et les maladies parodontales interviennent ainsi dans la pathogenèse complexe du diabète.

Données épidémiologiques

La prévalence du diabète continue d’augmenter en Algérie, pour atteindre 14,4 % de la population entre 18 et 69 ans, soit environ 4 millions de personnes atteintes de diabète en Algérie en 2018. (1)

La parodontite est considérée comme étant la sixième complication majeure du diabète,

après la rétinopathie, la néphropathie, la neuropathie, les complications macrovasculaires et les retards de cicatrisation. (2)

Il est maintenant établi que les relations entre ces deux pathologies sont  bi directionnelles. Le risque d’atteinte parodontale est 2 à 3 fois plus élevé chez les diabétiques par rapport aux sujets non diabétiques et parallèlement aux autres complications du diabète, ce risque augmente avec le mauvais contrôle glycémique. (3)

Lien bidirectionnel entre diabète et parodontite
Le diabète augmente le risque de parodontite

Il a été démontré qu’un diabète non équilibré est un facteur de risque de parodontite, caractérisée par une inflammation significative des tissus épithéliaux et conjonctifs et une perte osseuse. (4)

 Figure 1. Illustration schématique des principales caractéristiques de la parodontite. Image provenant de Shutterstock

Les raisons de la prévalence majorée de la parodontite chez les diabétiques sont bien établies.

• Les microorganismes présents au niveau des tissus sous-gingivaux sont similaires entre

les patients diabétiques et non-diabétiques. Cependant, l’absence apparente de différences significatives dans les agents pathogènes potentiels suggère que les altérations de la réponse immuno-inflammatoire de l’hôte peuvent avoir une influence majeure sur la prévalence et la gravité accrues de la destruction parodontale observée dans le diabète. (5)

• Le fonctionnement des neutrophiles est souvent altéré en cas de diabète, entrainant des

anomalies d’adhérence, de chimiotactisme et de phagocytose, qui diminuent la capacité de l’organisme à éliminer les bactéries, leur permettant de persister dans les poches parodontales et augmenter considérablement la destruction parodontale. (5)

• La réponse hyper inflammatoire observée en cas de diabète se traduit par une élévation de la concentration  de cytokines pro-inflammatoires, comme les interleukines (IL), le facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-a), la protéine C réactive (CRP) et le fibrinogène, dans le fluide gingival créviculaire. (4,6)

• En plus de la diminution de la synthèse, le collagène nouvellement formé est susceptible d’être dégradé par les métalloprotéinases matricielles (MMP) telles que la collagénase, qui sont élevées chez les diabétiques. Une augmentation de leur taux a un impact négatif sur l’homéostasie du collagène et la cicatrisation dans le parodonte. (5)

• Des taux élevés de glucose dans le fluide gingival créviculaire peuvent directement entraver la capacité de cicatrisation des fibroblastes dans le parodonte en inhibant la fixation et la propagation de ces cellules qui sont essentielles à la cicatrisation des plaies et au renouvellement normal des tissus. (5)

• L’hyperglycémie contribue également à l’augmentation de l’expression des récepteurs des produits de glycation avancée (AGEs) dans les tissus gingivaux des patients diabétiques. (5)

L’inflammation est un acteur essentiel de l’association. Le diabète augmente clairement le risque de maladies parodontales, et des mécanismes biologiquement plausibles ont bien été démontrés.

L’ensemble de ces altérations dans la réponse immunitaire des patients diabétiques, en particulier les taux élevés de cytokines pro-inflammatoires au niveau du parodonte, résultent en une exacerbation de l’inflammation parodontale, entraînant progressivement une destruction du ligament, une perte osseuse, et par conséquence la perte de la dent. (4,6)

Effets  de la parodontite sur le contrôle glycémique

Les maladies parodontales et le diabète sucré sont étroitement associés et sont des maladies chroniques très répandues avec de nombreuses similitudes en pathobiologie.

  • La parodontite altère le contrôle glycémique chez les diabétiques

Une parodontite sévère chez un diabétique est associée à une augmentation du taux de glucose sanguin, repérée via l’HbA1c. (7)

Les taux élevés de médiateurs proinflammatoires circulants (TNF-a, CRP, médiateurs du stress oxydatif) observés chez les patients diabétiques souffrant de parodontite peuvent affecter le contrôle du diabète. (4)

  • La parodontite majore le risque de complications du diabète

Des études suggèrent qu’il existe un lien direct entre la sévérité de la parodontite et les complications du diabète. (4,7) Les médiateurs de l’inflammation comme le TNFa et IL-6, et les produits bactériens (comme les lipopolysaccharides bactériens) induisent la sécrétion des protéines de la phase aigüe comme la CRP, le fibrinogène et la protéine sérum-amyloïde. Ces facteurs, qui peuvent facilement être détectés chez les patients et dont le taux est élevé en présence de parodontite, peuvent être nocifs pour le cœur, les reins et d’autres organes. (4)

La gravité de la rétinopathie diabétique et la gravité de la parodontite sont liées, à l’instar de l’hémorragie rétinienne et gingivale. La néphropathie diabétique est également associée à la parodontite. (4)

  • La parodontite peut entraîner l’apparition d’un diabète

Chez les patients non diabétiques, la présence des médiateurs pro inflammatoires liés à la parodontite peut induire ou faire perdurer un état inflammatoire systémique chronique qui peut altérer le contrôle glycémique. (4, 8,9)

Une parodontite modérée à sévère est associée à un risque majoré de survenue du diabète, le risque augmentant avec la sévérité de la parodontite. (7)

Figure 2 : Modèle conceptuel connectant diabète et parodontite, montrant les facteurs pathogéniques possibles. AGE : Advanced Glycation End-products, IL : interleukin, LPS : lipopolysaccharides, ROS : reactive oxygen species, TNF-α : tumor necrosis factor α (Kocher et all.2018). (10)

Importance de la prise en charge de la parodontite chez le patient diabétique

La parodontite devrait être vue comme une complication du diabète – mais parmi celles qui peuvent être contrôlées. Il est important que les spécialistes du diabète et de la médecine dentaire aient connaissance des signes de la parodontite chez leurs patients. (7)

Tout traitement permettant une réduction de l’inflammation parodontale peut aider à restaurer une sensibilité à l’insuline et améliorer le contrôle métabolique. (9)

Il est par conséquent important de traiter la parodontite chez les patients diabétiques. Les traitements utilisés pour les maladies parodontales comprennent les techniques de débridement non- chirurgicales, telles que l’hygiène bucco-dentaire, détartrage et surfaçage radiculaire (DSR), traitement antimicrobien local ou systémique (à savoir antibiotiques et antiseptiques), et, dans les cas les plus sévères des traitements chirurgicaux comme la gingivectomie ou le lambeau d’assainissement.

Un examen régulier pour rechercher une parodontite est nécessaire, et il a été recommandé que dans la pratique clinique, un traitement parodontal au long cours soit requis pour maintenir dans le temps les améliorations cliniques sur la glycémie.

Le lien bidirectionnel entre diabète et parodontite signifie que les spécialistes du diabète ont besoin d’en être informés et de rechercher les symptômes de maladie parodontale chez leurs patients.

Rôle du professionnel de santé

La Fédération Internationale du Diabète (FID) et la Fédération européenne de parodontologie (FEP) ont publié en 2017 des directives communes destinées aux professionnels des soins médicaux et bucco-dentaires et à leurs patients, afin de promouvoir le diagnostic précoce, la prévention et la prise en charge commune du diabète et de la parodontite. (4)

Les lignes directrices  pour la prise en charge des patients diabétiques, sont :

• Informer les patients que :

– Le risque de parodontite est majoré par le diabète.

– La parodontite peut affecter négativement le contrôle glycémique.

– La parodontite peut augmenter le risque de survenue de complications du diabète (telles les pathologies cardiovasculaires et rénales).

• Rechercher tout signe de maladie parodontale dans le cadre de l’examen initial de tous les patients diabétiques de Type 1, Type 2 ou ayant un diabète gestationnel.

• Réaliser un examen parodontal chez les patients récemment diagnostiqués en tant que partie intégrante de la prise en charge du diabète, même si aucun signe de maladie parodontale n’est repéré.

• Adresser les patients présentant une parodontite manifeste (notamment perte de dent/s non liée à un traumatisme et/ou abcès ou suppuration gingival/e) à un chirurgien-dentiste.

• Sensibiliser tous les patients diabétiques à la santé buccodentaire.

Conclusion

Même si des études plus puissantes sont nécessaires pour compléter la démonstration du lien entre traitement des maladies parodontales et contrôle glycémique, nous pouvons d’ores et déjà recommander d’intégrer un examen buccal rigoureux et les soins parodontaux nécessaires (préventifs et curatifs) à la prise en charge des patients diabétiques.

La santé bucco-dentaire n’est pas encore pleinement prise en compte dans le suivi médical pluridisciplinaire du patient diabétique. Un effort de collaboration entre le médecin dentiste et le diabétologue pourrait permettre une prise en charge plus globale du malade ainsi qu’un suivi plus régulier et plus minutieux.

Une sensibilisation accrue des patients au lien entre le diabète sucré et la parodontite et la collaboration entre les professionnels médicaux et dentaires pour la prise en charge des personnes touchées sont essentielles

Références

1. Belhadj M,  Arbouche Z, Brouri M, Malek R, Semrouni M, Zekri S, Nadir D, Abrouk S. Baromètre Algérie : Enquête nationale sur la prise en charge des personnes atteintes de diabète. Médecine des maladies métaboliques. Tome 13, Numéro 2, mars 2019, Pages 188-194.

2. Löe H. Periodontal disease. The sixth complication of diabetes mellitus. Diabetes Care 1993; 16(1): 329-34.

3. Preshaw, Phlip M. et Bisset, Susan M. Periodontitis and diabetes. British Dental Journal. 2019, Vol. 227, 7.

4. Sanz M, Ceriello A, Buysschaert M, et al. Scientific evidence on the links between periodontal diseases and diabetes: Consensus report and guidelines of the joint workshop on periodontal diseases and diabetes by the International Diabetes Federation and the European Federation of Periodontology. J Clin Periodontol 2017; pii: S0168-8227(17)31926-5

5. Mealey B, Ocampo G. Diabetes mellitus and periodontal disease. Periodontol 2000 2007; 44: 127-53.

6. Gurav A. Management of diabolical diabetes mellitus and periodontitis nexus: Are we doing enough?  World J Diabetes 2016; 7(4): 50-66.

7. Chapple I, Genco R. Diabetes and periodontal diseases: consensus report of the Joint EFP/AAP Workshop on Periodontitis and Systemic Diseases. J Periodontol 2013; 84(Suppl 4): 106-12.

8. Borgnakke WS, Ylöstalo PV, Taylor GW, Genco RJ. Effect of periodontal disease on diabetes: systematic review of epidemiologic observational evidence.  J Periodontol 2013; 84(4 Suppl): S135-S52.

9. Mealey B, Oates T. Diabetes mellitus and periodontal diseases.  J Periodontol 2006; 77: 1289-303.

10. Kocher et al. Periodontal complications of hyperglycemia/diabetes mellitus : epidemiologic complexity and clinical challenge. Perio 2000 2018;78:59-­‐97.

Leave a Comment

Recevez la revue Labiogen Dès sa parution
Inscrivez-vous pour recevoir chaque numéro de Labiogen par email