Obésité et asthme, quels liens ?

R. Yahiaoui.

Service de Pneumologie. CHU Béni-Messous.

L’obésité est la comorbidité la plus fréquente de l’asthme, l’associant à un risque accru d’exacerbations, d’aggravation des symptômes respiratoires et d’un mauvais contrôle.

Des données cliniques, épidémiologiques et expérimentales récentes renforcent la relation de cause à effet entre l’obésité et l’asthme. Les mécanismes exacts de ce phénotype restent méconnus et sont probablement multifactoriels, provenant de nombreux caractéristiques tels que l’âge d’apparition de l’asthme, le sexe, la nutrition,  la prédisposition génétique, du microbiote, du rôle du tissu adipeux, de l’altération de la mécanique ventilatoire, d’une dysrégulation inflammatoire et métabolique systémique des voies respiratoires qui influencent négativement sur la fonction pulmonaire et également sur la réponse aux traitements antiasthmatiques habituels. L’association asthme et obésité est un phénotype complexe avec des caractéristiques cliniques, biologiques et fonctionnelles particulières. Au cours de ces dernières années, des études cliniques, épidémiologiques et expérimentales ont fourni des conclusions plus claires et plus détaillées sur cette interrelation complexe.

Introduction 

L’asthme, maladie inflammatoire chronique des voies aériennes est aujourd’hui considéré comme une pathologie hétérogène regroupant de nombreux phénotypes qui affecte selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) 334 millions de personnes dans le monde en 2014 avec une augmentation de la prévalence et de l’incidence ces dernières années, notamment dans les pays à faible revenu [1].

Environ 38 % des asthmatiques adultes actuels sont obèses aux États-Unis, et il a été démontré que l’obésité est un facteur de risque de développer de l’asthme. Les asthmatiques obèses signalent une moins bonne maîtrise de l’asthme malgré le traitement conventionnel et efficace de l’asthme, une moins bonne qualité de vie spécifique à l’asthme et des taux plus élevés d’utilisation des traitements de secours. Cependant, les mécanismes à l’origine de cette association restent flous. Comprendre le lien entre l’obésité et l’asthme pourrait conduire au développement de nouvelles thérapies.

Cette revue de littérature a pour but de faire le point sur les études épidémiologiques de ce phénotype d’asthme associé à l’obésité dont le lien est de mieux en mieux compris à l’état actuel, d’étudier les particularités diagnostiques et thérapeutiques avec notamment l’intérêt de la perte de poids sur l’impact de l’obésité sur l’asthme.

Épidémiologie

Les études épidémiologiques montrent ces 30 dernières années une augmentation de l’incidence et de la prévalence de l’asthme chez les sujets obèses, quel que soit leur âge. Une méta-analyse récente confirme, cette relation de cause à effet [2]. Ce travail s’appuie sur 7 études prospectives longitudinales, et une relation dose (poids normal, surpoids, obésité)/effet (asthme incident) a été mise en évidence.

Le lien épidémiologique entre l’asthme et l’obésité a été suggéré à la fin des années 90 [2]. Dans l’étude de Camargo et al, portant sur 85 911 infirmières aux Etats-Unis, le risque de développer un asthme de début tardif (après 18 ans) était nettement augmenté lorsque l’IMC était supérieur ou égal à 30 kg/m² avec un odds ratio (OR) à 2,7 [2]. La grande majorité des études transversales, qui ont été réalisées au début des années 2000, font le même constat avec un risque accru de développer de l’asthme chez les sujets obèses comparativement aux sujets sans surpoids et ce quel que soit le sexe ou l’âge [3–4]. Chez l’enfant et l’adolescent, la cohorte longitudinale menée aux Etats-Unis [5] a observé que l’obésité associée à l’asthme favorise la persistance des symptômes à l’âge adulte et qu’elle est un facteur de risque indépendant de développer un asthme après la puberté.

En Europe, on retrouve cette même tendance chez l’adulte dans l’enquête sur la santé respiratoire dans la communauté européenne (ECRHS) [6]. Les données obtenues auprès de

9552 participants, retrouvent une association entre asthme et obésité avec un risque plus marqué chez les femmes [6,7]. D’autres facteurs de risque comme la présence d’une hyperréactivité bronchique, d’une atopie, d’une rhinite allergique et d’un asthme maternel sont également rapportés. D’autres études prospectives confirment ces données avec un risque relatif chez les sujets obèses de développer un asthme qui se situe entre 1,6 et 3,00 [8]. Dans une méta-analyse effectuée chez 333 102 adultes, la présence d’une obésité augmente le risque d’asthme avec un OR à 1,92 (IC 95% 1,43-2,59) [8]. Il existe également des données qui sous-tendent le fait que l’obésité contribue à l’augmentation de la sévérité de l’asthme [9].

Grâce aux études en « cluster » [10], un phénotype particulier associant l’asthme et l’obésité a pu être défini, regroupant un sous-groupe de patients obèses, plutôt de sexe féminin, avec un asthme d’apparition tardif, non-atopique, nécessitant des traitements médicamenteux importants (cures répétées de corticoïdes oraux pour des exacerbations fréquentes d’asthme).

-Il existe deux phénotypes distincts :

1. Le phénotype asthme et obésité de début précoce concerne des enfants asthmatiques allergiques avec une inflammation à prédominance éosinophilique dont l’obésité complique la prise en charge.

2. Le phénotype à début tardif est caractérisé par un asthme non allergique, sans inflammation à éosinophile, d’apparition retardée se développant comme conséquence de l’obésité, et touchant préférentiellement le sexe féminin avec susceptibilité majorée aux expositions environnementales ou aux modifications hormonales.

Mécanismes Physiopathologiques

De nombreux facteurs sont incriminés dans la physiopathologie du phénotype de l’asthme associé à l’obésité (Figure 1) :

– Une prédisposition génétique, avec de multiples gènes concernés, en lien avec l’immunité et le métabolisme énergétique.

– Le statut socioéconomique, le mode de vie occidental (alimentation, réduction de l’activité physique) et les expositions environnementales participent au développement de l’asthme et de l’obésité via probablement une implication de l’épigénétique.

– La composition du microbiote intestinal, modifié par les régimes alimentaires, majorerait les risques d’atteinte des voies respiratoires.

Figure 1: liens physiopathologiques d’après Villeneuve, la revue des maladies respiratoires 2019
Diagnostic

Le Diagnostic de l’asthme chez les patients obèses, est aussi difficile, que chez les patients sans surpoids, cependant 30% à 35% de diagnostics sont erronés, avec un double risque de sur-diagnostic ou de sous-diagnostic de l’asthme, d’où l’importante du test d’hyperréactivité bronchique. Le phénotype obésité-asthme tardif de l’adulte est associé à un FENO réduit, ce qui limite son utilisation. Par ailleurs, rechercher des comorbidités communes à l’asthme et à l’obésité telles que ; le reflux gastro-œsophagien, le syndrome d’apnée obstructive du sommeil (polygraphie si doute) et surtout ne pas oublier d’évaluer l’état psychologique des patients (anxiété-dépression), de faire le diagnostic différentiel avec un éventuel syndrome d’hyperventilation, et de souligner la présence d’anomalies métaboliques (diabète de type II…) et/ou coronariennes.

Traitement

-Au niveau thérapeutique, chez les sujets asthmatiques obèses, outre des règles hygiéno-diététiques, l’exercice physique régulier est recommandé. Une perte de poids entre 5 et 10 % et le réentrainement à l’effort, sont bénéfiques sur le contrôle de l’asthme

-L’effet des corticoïdes inhalés et des antileucotriènes (montelukast), sont moindres chez les patients obèses ; une prise en charge pluridisciplinaire, en association avec l’éducation thérapeutique, est justifiée.

-Chez des patients obèses (IMC ≥ 40 kg/m² ou un IMC ≥ 35 kg/m2 et < 40 kg/m²), associé à des troubles respiratoires sévères, la chirurgie bariatrique est recommandée si échec au traitement médical, nutritionnel, diététique et psychothérapeutique bien conduit.

– Les résultats des biothérapies sont discordants ; avec l’Omalizumab, on constate plutôt une réponse moins bonne chez les patients obèses ; l’efficacité des anticorps anti-IL5 et des anti-IL5R est contradictoire selon les études.

-Chez les patients asthmatiques obèses, il existe un sur risque d’infections virales et/ou bactériennes justifiant la vaccination grippale et antipneumococcique.

Conclusion

L’augmentation de l’incidence et de la prévalence de l’asthme et de l’obésité est un enjeu de santé publique majeur que ce soit chez l’enfant ou l’adulte. L’association de l’asthme à l’obésité est un phénotype particulier avec des caractéristiques physiologiques propres. Plusieurs mécanismes sous-jacents ont été incriminés ; comprennent une composante génétique, des facteurs nutritionnels, des modifications du microbiote intestinal, une inflammation systémique, des anomalies métaboliques, des changements dans l’anatomie et la fonction pulmonaire. Il convient d’effectuer une démarche diagnostique et thérapeutique complète en précisant chez le sujet asthmatique l’IMC, le mode de vie, les comorbidités, la composante psychosociale afin d’identifier les obstacles à la perte de poids et les causes d’une éventuelle non-observance du traitement médical.

Les interventions non pharmacologiques comme l’exercice physique et le régime alimentaire sont primordiales et aident à améliorer le contrôle de l’asthme. Il serait souhaitable de réaliser d’autres études afin de mieux préciser les spécificités de ce phénotype complexe et d’en améliorer la prise en charge.

Références bibliographiques
  1. OMS | Asthme. WHO n.d. http://www.who.int/topics/asthma/fr/ (accessed August 8, 2018).
  2. Camargo CA, Weiss ST, Zhang S, Willett WC, Speizer FE. Prospective study of body mass index, weight change, and risk of adult-onset asthma in women. Arch Intern Med 1999 ; 159:2582–8.
  3. Shaheen SO, Sterne JA, Montgomery SM, Azima H. Birth weight, body mass index and asthma in young adults. Thorax 1999 ; 54:396–402
  4. Ford E. The epidemiology of obesity and asthma. J Allergy Clin Immunol 2005 ; 115:897–909
  5. Guerra S, Wright AL, Morgan WJ, Sherrill DL, Holberg CJ, Martinez FD. Persistence of Asthma Symptoms during Adolescence : Role of Obesity and Age at the Onset of Puberty. Am J Respir Crit Care Med 2004 ; 170:78–85
  6. Chinn S. Incidence of asthma and net change in symptoms in relation to changes in obesity. Eur Respir J 2006 ; 28:763–71.
  7. Beckett WS, Jacobs DR, Yu X, Iribarren C, Williams OD. Asthma Is Associated with Weight Gain in Females but Not Males, Independent of Physical Activity. Am J Respir Crit Care Med 2001 ; 164:2045–50.
  8. Beuther DA, Sutherland ER. Overweight, Obesity, and Incident Asthma : A Metaanalysis of Prospective Epidemiologic Studies. Am J Respir Crit Care Med
  9. 2007 ; 175:661–6.Barros R, Moreira P, Padrão P, Teixeira VH, Carvalho P, Delgado L, et al. Obesity increases the prevalence and the incidence of asthma and worsens asthma severity. Clin Nutr 2017 ; 36:1068–74.
  10. Haldar P, Pavord ID, Shaw DE, Berry MA, Thomas M, Brightling CE, et al. Cluster Analysis and Clinical Asthma Phenotypes. Am J Respir Crit Care Med 2008 ; 178:218–24

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